Pratiques et discours du développement durable - Groupe d’approche interdisciplinaire des questions environnementales

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Séance 19 mars 2007 : Histoire de l’environnement urbain

Dernière mise à jour le 19 mars 2007.

Stéphane Frioux : introduction « Histoire » et « environnement urbain » sont deux expressions qui ne vont pas de soi. Les thèses portant sur environnement urbain sont essentiellement des thèses de géographie. Alors que l’histoire de l’environnement se développe actuellement en France, avec encore un décalage par rapport aux pays anglo-saxons, s’opère un renouvellement des perspectives de l’histoire urbaine. Jusqu’aux années 80, on a mené des études de la ville-cadre pour des catégories sociales (bourgeois, ouvriers) puis on est passé à la ville-objet étudiée dans sa matérialité, et ses paysages ; aujourd’hui un tournant s’observe, vers une histoire de l’environnement urbain ? Cf dernier numéro de la revue Histoire urbaine, article de G. Massard-Guibaud.

Cyril COURRIER. « Rome et ses déchets : salubrité et insalubrité d’une mégapole antique »

Les grandes métropoles sont nombreuses : Antioche, Seleucie, Cathage, et bien sûr Rome (1 M habitants), concentration urbaine qui pose une série de problèmes. D’après C. Nicollet, c’est une mégapole avec une structure et un fonctionnement particuliers : difficulté et lenteur des transports, grosse circulation, problèmes d’approvisionnement et de distribution à l’intérieur de l’Urbs, questions de l’hygiène et du maintien de l’ordre, avec enjeu politique évident. La question des déchets à l’honneur depuis le colloque de 1996 Urbs sordes, qui a fait appel à des méthodes scientifiques : analyse des déchets organiques fossibles, des poussières... S’est opéré un renouvellement des approches d’un domaine d’étude qui était l’apanage des anglo-saxons (étude sur qualité de vie et des impacts sur la population), et qui était dominé par le modèe de l’urban graviard effect : des taux de mortalité supérieurs à la natalité, donc un poids très fort de l’immigration. Le paradigme est Londres au XIXe siècle. Rome fait figure de repoussoir, d’exemple d’anarchie urbaine à éviter à tout prix. En fait, les recherches actuelles tendent à montrer que les conditions sont moins terribles à Rome qu’ailleurs et que le modèle de l’urban graviard effect doit être véritablement remis en cause.

La question des déchets

Les calculs les plus récents estiment la totalité de la population romaine entre 800 000 et 1 million d’habitants, soit 600 000 citoyens et environ 400 000 esclaves ou pérégrins. Ce chiffre aurait été relativement stable sur la période fin de la République / Empire. Le rapport de cette population au déchet est très différent de celui des sociétés contemporaines : · Recyclage omniprésent, donc production de déchets moins importante. · Rapport bien moins conflictuel avec le déchet, moins de sensibilité olfactive. · Excréments domestiques récupérés pour usages agricoles et industriels. · Décombres immédiatement recyclés, très rare de trouver des zones de gravats à part le Testaccio. · Pas de problèmes de déchets de bois et métaux type friche des villes modernes · Déchets alimentaires récupérés aussi, ex. os des carcasses utilisés comme un ivoire de remplacement, tables, cartes de jeu, manches de couteaux, etc.

Les plébéiens exploitent au mieux les matières premières pour améliorer leurs conditions de vie. Donc pour une partie de la population, les « déchets » constituent une denrée non négligeable. Des auteurs ont évalué les quantités de déchets émises par les tabernae, les ateliers et les particuliers ? 50 tonnes / jour d’excréments solides pour 1 million habitants, plus les troupeaux qui divaguent dans les rues, plus la question des urines et celle des cadavres abandonnés dans les rues (jusqu’à 1000 / an suivant certaines estimations). Ces cadavres constituaient un arguments de poids pour la thèse « Rome ville tombeau », confirmée par les représentations littéraires (Rome souillée par les déchets et croulant sous les cadavres, cf. Martial ; Suétone : Néron et son cheval qui trébuche sur un corps ; Juvénal : mieux vaut rédiger son testament avant de sortir dans la rue, tant sont fréquents les jets de déchets et de pots de chambre par les fenêtres).

Les rues étaient sales, fangeuses, et s’y ébattaient les cochons. La Rome antique n’était pas un village suisse, mais pour autant, n’était-elle qu’une ville fétide ? La thèse des conditions sanitaires déplorables a influencé largement le courant historiographique autour de l’urban graviard effect. Rome, carrefour migratoire, aurait aussi favorisé une concentration de germes pathogènes...

Les risques sanitaires : une ville mouroir ?

Les Romains sont très conscients du rapport saleté / maladie et épidémie, et il existe une action publique importante. Elle passe d’abord par l’interdiction de conduites à risque : déféquer, déposer les ordures, déposer les cadavres (amende de 60 sesterces) ou des corps d’animaux. Les cimetières sont particulièrement protégés de tout dépôt d’ordures ou de terre (mais il s’agit autant d’une protection religieuse qu’hygiénique). Les lieux de mémoire sont également protégés par des graffitis contre les déjections des passants (menaces très fréquemment répétées sur les murs de Pompéi, davantage pour faire valoir le statut des propriétaires que pour des questions de salubrité publique). Les châteaux d’eau et cours d’eau font aussi l’objet d’une attention particulière.

L’organisation du nettoyage est prise en compte par les autorités municipales. La gestion publique des déchets (curage des égoûts + ramassage des déchets) a été mise en évidence par des recherches récentes qui battent en brèche la thèse qui se fondait sur la table d’Héraclée pour affirmer que chaque propriétaire devait nettoyer devant son édifice. En fait, ils doivent simplement entretenir le dallage (tuitio) alors que le purgatio incombe à la ville. Les chariots des stercatores ramassent les immondices et ont le droit de circuler toute la journée, sous le contrôle par des magistrats compétents. Il y a peu de renseignements sur l’existence d’un corps public d’éboueurs. Néanmoins, des contrats étaient passés entre l’édile et les quattuorviri et des adjudicataires, qu’il s’agisse du ramassage de cadavres ou des latrines publiques qu’il s’agit de curer. Le produit est emporté hors de la ville, et déversé dans une fosse à purin. Une ferme prend à bail le curage de toutes les latrines romaines (personnel = foricarii). De la même façon, la récupération de l’urine fait l’objet de règlements ; rappelons que l’urine était prélevée à la source par les foulons, dans des amphores, et ensuite utilisée dans le traitement de la laine. L’intérêt économique du stercus, déchet précieux, pourrait expliquer pourquoi les latrines privées étaient peu répandues. Les habitations étaient desservies par des puisards, qui souvent alimentaient les jardins qui servent de champs d’épandage (notamment les jardins maraîchers pratiquant une agriculture intensive, grâce à ce type d’engrais). Les stercorarii sont parfois employés pour le curage des puisards. Mais on ne sait pas si ce corps était public ou privé. Il y a donc intervention nette de la puissance publique dans la gestion des déchets. Rome n’est pas la poubelle décrite par les sources littéraires, qui font de l’ironie leur mode de fonctionnement. L’historiographie s’est habituée à considérer la ville romaine comme un cloaque. Pourtant, la quantité d’eau / habitant est très importante pour l’époque : 20 à 25 litres / jour. Les ayants-droits bénéficient aussi d’approvisionnement gratuit en farine, huile etc. Donc les conditions de vie pouvaient être finalement acceptables dans le modèle préindustriel. Une question aujourd’hui en débat souligne que les migrants seraient responsable de l’augmentation de la mortalité, car ils auraient eu de mauvaises conditions de vie par rapport aux autres.

Questions : Par rapport aux épidémies : hyper endémie de la malaria et de la gastro-entérite entre août et octobre ; Scheidl (tenant de l’urban graviard effect) souligne que l’on quitte Rome à cette époque-là mais que seuls les riches peuvent se retirer dans leurs métairies, alors que les pauvres subissent les épidémies. Or il est possible que même les plus pauvres aient pu disposer d’un cabanon à l’extérieur ; pour Lo Cascio personne n’aurait quitté les murs, cf. le Sénat qui se réunissait normalement. Testaccio : lieu de spécialisation urbaine de stockage des déchets ? Tas très important, de la taille d’une colline, constitué de débris d’amphores.Transport d’huile depuis l’Espagne et la Bétique, amphores qu’on ne sait pas réutiliser donc pas de recyclage (alors que les amphores d’Afrique sont réutilisées dans la construction). Bruit : dans les sources littéraires, les espaces populaires et les quartiers populeux sont souvent associés à d’importantes nuisances sonores. Elles sont toujours associées aux catégories plébéiennes.

Patrick FOURNIER. « Salubrité et insalubrité dans les villes du XVIIIe siècle »

Le fonctionnement de la ville jusqu’au XVIIIe siècle s’inscrit dans une longue continuité par rapport à l’époque antique. On trouve les mêmes types d’interrogations, même si pour le XVIIIe siècle il y a beaucoup plus de sources pour répondre notamment aux questions relatives à la mortalité urbaine. La démographie montre que la surmortalité urbaine n’est pas si évidente (facteurs explicatifs avancés : concentration de populations à risque dans les hôpitaux, mise en nourrice). Il faut insister sur la variabilité des seuils de tolérance. Les débats d’époque portent sur la ville mouroir et sur les milieux sociaux. Il s’agit de les mettre en rapport avec des pratiques concrètes d’aménagement du milieu urbain.

Quelles représentations ? Elles sont liées aux préoccupations de santé publique, qui existent dans les règlements urbains depuis le Moyen Age, et qui sont également présentes dans la littérature médicale. L’air est considéré comme le facteur premier d’insalubrité, alors que ce sont plutôt les sols et l’eau qui sont pollués. Cependant, cet « aérisme » lié à un néo-hyppocratisme, n’est pas premier dans les théories du XVIIIe siècle ; en effet les enquêtes médicales développent davantage des théories climatiques. « Corruption », « contagion »... « miasme », « méphitisme ». Les termes soulignent l’idée de putréfaction, de pourriture, entretenues par les activités humaines et les déchets, et associées aux « fièvres » (tout est fièvre dans la médecine de l’époque). La façon dont on conçoit la pollution est liée à celle de la contagion. Les deux formules sont associées, c’est seulement au XIXe s qu’on distingue contagion et miasmes.

Par exemple pour le scorbut ou la malaria, on identifie certaines causes comme l’absence de consommation de produits frais, mais elles sont toujours associées à des traits climatiques (ex. air humide et chaud).

Les nuisances en suspens

Question de la gestion de l’eau, de la qualité des eaux. Des médecins recommandent des filtrages, ou de faire bouillir l’eau. Ces moyens empiriques d’assainissement montrent qu’on se méfie déjà de l’eau. Les ouvrages de police urbaine distinguent les « eaux courantes » et les « eaux stagnantes » des puits, mares et étangs, considérées comme étant de mauvaise qualité. Question des immondices. Un problème qui va croissant avec la taille des villes concernées. Question de l’artisanat polluant Teinture, tannerie, production de salpêtre, rôtisseurs, tripières, bouchers... sont autant d’activités qui sont la plupart du temps implantées en périphérie. On demande souvent une localisation en aval des villes, mais qui est loin d’être appliquée. Boues et fumiers : Ces déchets ne sont pas nécessairement considérés comme une nuisance puisque boues et fumiers sont utilisées comme engrais, et valorisées dans les traités agronomiques qui dissertent sur la qualité différente des boues et des sols. Dans les villes sont créées des fosses à fumier pour la récupération. Exemple de Carpentras : zone de récupération liée aux activités maraîchères ; également dans le quartier juif qui est très pauvre, et où les gens revendent le fumier produit. Au contraire, dans les places principales et les rues bien famées, et les lieux de visibilité du pouvoir, la municipalité s’efforce de faire respecter tous les règlements.

Au XVIIIe siècle se lit l’amorce d’un partage de l’espace urbain avec des quartiers manufacturiers. C’est à Nîmes que l’exemple est le plus abouti : zonage avec quartier réservé à la soirie (mais le cas reste quand même exceptionnel). C’est aussi à propos des pollutions chimiques que s’amorcent des réflexions nouvelles, on prend conscience des dangers du plomb (cf. les zincs des troquets) ; toute une littérature s’intéresse aux dangers liés aux particules metalliques dans l’air ou ingérées dans le liquide. Apparaissent des industries rejettant de l’acide ou des gaz : des particuliers vont s’interroger sur ces nuisances.

Comment lutter contre les nuisances ?

Les règlementations contre la contagion : épidémie de peste de 1732, fièvres putrides diverses, typhus, typhoïde... montrent que les mêmes réflexes sont adoptés par rapport aux époques précédentes : il faut assainir rapidement l’espace urbain et compartimenter l’espace. Des enquêtes systématiques sont menées (déjà préconisées fin XVIIe, cf. Leibniz, forte influence des médecins allemands et anglais). Il faut trouver les relations entre environnement et nature des maladies, mais dans une perspective qui reste largement climatique. Il existe des systèmes d’adjudication entre villes et entrepreneurs des boues ou associations de balayeurs, complémentaires. Il n’y a pas d’évolution chronologique des systèmes : parfois bail général, parfois compartimentage de l’espace, parfois régie urbaine à la charge de la ville. L’équipement en égoûts demeure très peu développé. Ex de Riom en Auvergne : c’est davantage un système de vidange, avec des galeries souterraines accessibles par des puits pour en effectuer la vidange, mais non reliées à des systèmes d’évacuation des eaux. Ce type de galeries existe depuis le Moyen Age, sans grande mutation au XVIIIe siècle. Entre la fin XVIIe et le début XVIIIe siècle, beaucoup de villes prennent en main l’administration du nettoyage urbain, par une politique volontariste. Les fermiers revendent ensuite les boues pour usage agricole. Certaines villes de l’Ouest font donc payer les adjudicataires puisqu’ils tirent du profit des boues revendues (même si le ramassage n’est pas forcément très utile, et s’il existe des textes pour dire qu’il ne faut pas les utiliser pour le maraîchage). Une amélioration des systèmes d’adduction d’eau est constatée. Il n’y a pas de mutation technique, mais une volonté politique croissante d’accroître les volumes en eau de source. Fin XVII-mi XVIIIe siècle puis dans les trente dernières années du XVIIIe siècle apparaissent des nouveaux équipements hydrauliques. Les fontaines publiques sont nombreuses en Provence, dans les régions de l’Est (Franche-Comté, Bourgogne) ou dans les villes auvergnates. En revanche, le taux d’équipement très faible dans les villes du Sud Ouest : seulement 3 fontaines publiques à Toulouse, 1 à Pau, une dizaine à Bordeaux, échec technique à Bayonne. A Toulouse, l’eau de la Garonne est utilisée après filtrage. Toulouse ou Bordeaux auraient pu s’offrir les services d’ingénieurs compétents, il s’agit donc de volonté publique. A Paris, un pompage de l’eau de la Seine est mis en œuvre avec des machines à vapeur à la fin du XVIIIe siècle.

Y-a-t-il réellement un tournant hygiéniste au XVIIIe siècle ? La situation reste stable jusqu’au XIXe siècle, on n’est pas encore dans l’ère de l’hygiénisme. Le lien qui est fait reste global, assez rigide, sans publication d’enquêtes statistiques. La question de la réutilisation agricole des boues de la ville reste pregnante au XIXe siècle. La ville moderne reste humide, les pavages laissent s’infiltrer les eaux, l’eau stagnante est partout. A la fin du XVIIIe siècle les nouvelles nuisances suscitent de nouvelles interrogations.

Olivier BALAY : « Lyon au XIXe siècle, l’environnement sonore et la ville »

Olivier Balaÿ, architecte de formation, travaille au CRESSON qui est un laboratoire interdisciplinaire accueillant des disciplines de l’ingénieur et des disciplines du social, sur des thématiques d’anthropologie de l’espace. Le plus souvent, les sons en ville sont considérés de manière très négative (bruit, pollution sonore) ; or, si les villes étaient si catastrophiques pourquoi les gens du passé y seraient-ils restés ? On peut prendre la question du son sur le plan des idendités sonores : sons comme repères pour le citadin, émotion de l’écoute... il y a aussi une qualité dans les sons.

Comment recomposer les sons de la ville ? La méthode de l’intervenant est d’abord empirique, à partir de l’étude des romans du XIXe siècle : comment les romanciers campent-ils leurs personnages dans un environnement sonore. Puis le projet a évolué vers une cartographie sonore de Lyon au XIXe siècle, à partir de sources diverses (médicales, littéraires...). A partir de là peut s’envisager une histoire de la transformation de l’espace sonore de la ville au XIXe siècle : comment les aménagements du milieu du XIXe siècle ont-ils modifié les conditions de propagation et de production sonores ? La ville transforme l’écoute et la manière d’écouter

A. Repérer les signaux sonores qui perdurent et ceux qui disparaissent Le volume acoustique des villes des XVIIIe XIXe siècles équivaut certainement à celui d’aujourd’hui : les voix humaines portent bien davantage que les pots d’échappement. On entend beaucoup de cloches et de cris d’animaux (boucheries multiples) dont la présence sonore est sensible.

è quels sont les changements entre l’environnement sonore de la ville moderne et celui du XIXe siècle ? On observe une modification du tracé des rues entre le XVIIIe siècle et le XIXe siècle. Les rues du XVIIIe siècle sont étroites et sinueuses, et les carrefours sont « fermés » par des angles pointus. Arlette Farge souligne que tout l’univers sonore domestique est partagé par la population ; les habitations sont « séparées par des rues ». Les voix résonnent de façon intense. Au contraire, on les élargit au XIXe siècle, elles deviennent moins sinueuses et les carrefours s’ouvrent ; les façades deviennent lisses, les étalages non fixes sont supprimés. Le temps de traînage du son diminue puisque le son ne trouve plus d’obstacles à sa réverbération ; ainsi les sons sont beaucoup moins amplifiés, et les voix résonnent moins. Le son va être présent autrement. Il y a une évolution vers une aseptisation de l’ambiance sonore.

Dans les rues étroites type XVIIIe siècle, le son humain est très présent, très réverbéré. Les « petits » sons (un bruit de pièce qui tombe) sont particulièrement audibles. Il est possible de discuter d’une fenêtre à l’autre, et de se comprendre.

Dans les rues type XIXe siècle, le son est beaucoup plus mixé et mélangé. La voix humaine est étouffée sous les bruits matériels (circulation, fontaines...) et donc les conversations ne sont guère audible. Le temps de traînage des sons est nettement rallongé, donc on entend bien cris et aboiements, et moins les niveaux de voix plus faibles.

B. Repérer les comportements sonores et les représentation qu’on en donne

è Une tendance à aseptiser les bruits d’origine animale ou humaine Au XIXe siècle tout est fait pour faire taire la présence animale : cris d’animaux, cloches et surtout hurlement des pâtres après leurs bêtes. La sensibilité à ce vacarme s’accroît dans une ville étroite où tout est réverbéré. Autres exemples : les vidangeurs agissaient la nuit : on leur demande désormais de vidanger les fosses très tôt le matin, mais pas la nuit. Les marchés se spécialisent de plus en plus, ils sont répartis dans des grilles horaires pour limiter les « cris au poisson »

è Une grande mansuétude à l’égard des bruits industriels Les municipalités, peut-être soudoyées par les sociétés, ne font strictement rien pour limiter le bruit, les odeurs et la pollution. Tout est plutôt fait pour maintenir en place les emplois.

è Les comportements domestiques à l’égard du bruit vont également dans le sens de l’aseptisation Dans les romans et les sources littéraires, il y a tout un discours sur la tonalité ou l’expression. On déteste le son de voix du domestique breton, ou celui qui respire le patois. Aseptisation générale ; le domestique est sonné et non plus appelé... Les architectes travaillent exclusivement pour les couches aisées de la population. Les traités d’architecture se sont penchés sur la question du bruit. Or le bourgeois du XIXe siècle est à la fois très curieux de tout ce qui se passe dans sa maison, et en même temps allergique au bruit. C’est à l’architecte de résoudre la contradiction, autour de l’antichambre où attendent les visiteurs (il y a tout un jeu autour de l’écoute sans en avoir l’air, cf. romans de Balzac). On met en place des filtres, sous forme de portes qui peuvent être maintenues ouvertes ou fermées. On travaille aussi sur les planchers et les rideaux.

è Les populations donnent un timbre à leurs quartiers Il est possible de retrouver un peu les sons du XIXe siècle sur Fourvières, ou Bellecour, alors que d’autres quartiers comme Ainay fonctionnent comme des conservatoires silencieux.

C. Récolter dans les guides, les descriptions, les infos nécessaires à la cartographie des ambiances sonores

Il est possible de repérer les boucheries, et les circuits empruntés par les animaux. L’environnement sonore peut être reconstitué partiellement en utilisant des enregistrements : dans une rue étroite et sinueuse, ou dans une artère hausmanienne. Les différents types de son ne retentissent pas de la même façon.

Luc MERCHEZ. « Quantifier les nuisances sonores, l’exemple du bruit routier à Ecully »

Le bruit est considéré comme une nuisance voire un danger pour la santé publique, et donc représente un éventuel coût pour la collectivité. Cette position s’inscrit dans un temps très long, cf. textes de Juvénal à Rome. Dans les enquêtes sur les nuisances urbaines, le bruit vient en tête, et particulièrement les bruits de transports. Le Corbusier et les tenants de la Charte d’Athènes avaient conceptualisé l’autoroute dans la ville, et les tours donnant dessus... on était persuadé que le bruit et la pollution seraient ainsi dispersés par le vent ! Depuis, le bruit en ville fait l’objet de nombreux travaux au service de l’aménageur. La cartographie du bruit en ville constitue un vaste chantier. L’unité de mesure est le décibel, et un code de couleur a été mis en place à l’échelle européenne, puisque toutes les agglomérations de + 250 000 habitants sont obligées de produire une carte du bruit depuis 2002, afin de favoriser les politiques publiques de lutte contre le bruit. La plupart des villes n’en sont pas encore dotées.

Le bruit est un phénomène diffus, avec une diffusion + / - vaste dans l’espace et + / - longue dans le temps. Il faut donc choisir le secteur et la temporalité de mesure du bruit (un jour ? une nuit ? une semaine ? ). Ecully compte 18 000 habitants, pour 8,5 km² jouxtant la commune de Lyon, sur les flancs du Mont d’Or (ce qui pose des problèmes de modélisation). La commune est découpée en 78 îlots très hétérogènes, définis par l’INSEE (recensement). La commune est traversée par l’A6 qui remonte depuis Fourvière jusque vers le Mont d’Or. Des quartiers entiers ont une vue directe sur l’autoroute : fenêtres ouvertes, les gens ne s’entendent pas à l’intérieur de leurs appartements. Pour la modélisation, un logiciel est utilisé en association avec l’IGN : MITHRA. La modélisation nécessite une connaissance précise du relief, du bâti (hauteur ? altitude ? habité ou non ?) et des voies de circulation. Une fois créée, la carte peut être modifiée aisément, en changeant les paramètres du trafic routier. La distribution spatio-temporelle du bruit routier est intégrée. La modélisation prend aussi en compte la distribution spatio-temporelle de la population, en fonction de la sensibilité (vulnérabilité) au bruit : catégries d’individus, activités de ces catégories).

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