Pratiques et discours du développement durable - Groupe d’approche interdisciplinaire des questions environnementales

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CR de la séance 1 : le développement durable et nos disciplines

Dernière mise à jour le 17 janvier 2006.

Intervention des historiens

Comment peut-on parler de durabilité en histoire ? Est-ce que le "développement durable" peut être utilisé comme concept pour comprendre des sociétés dont la "conscience environnementale" était fort éloignée de la nôtre ?

Stéphane Frioux retrace la naissance d’un champ spécifique appelé "histoire de l’environnement", qui étudie l’évolution des rapports entre sociétés et milieux. Autour de cette problématique se rassemblent non seulement des historiens, mais également des géographes, des écologues, des ingénieurs ou architectes, etc. Ce champ est institutionnalisé sur le plan international, par la présence de grandes associations comme la Société Européenne pour l’histoire de l’environnement (www.eseh.org). Sa dernière conférence internationale eut lieu à Florence en 2005 sur le thème "History and Sustainability", autrement dit "Histoire et développement durable".

Ainsi, le développement durable semble être un objet pour l’historien, dans le sens où l’on peut étudier la durabilité d’un mode d’exploitation des ressources ou d’organisation des rapports entre une communauté humaine et son environnement.

Emilie-Anne Pépy prend l’exemple de l’histoire de la montagne et des forêts. Depuis la période médiabale, les élites ont l’impression que la forêt s’épuise et que leurs descendants ne verront plus que taillis rabougris et maigres prairies. Les Ordonnances forestières de Colbert (1669-1689) sont les seules dont l’application fut systématique et généralisée, grâce aux moyens que l’Etat avait investis dans l’administration des Eaux et Forêts. Les agents de l’Etat accusent les usages paysans. Les élites imposent la mise en réserve d’un quart des surfaces pour croître en haute fûtaie

Ensuite, elle développe l’exemple d’un nouvel objet d’histoire : l’histoire des risques. Comment les sociétés répondent-elles face au risque - et à la catastrophe - naturel ? Ici aussi le rôle de l’Etat est important : par exemple, pour gérer les fleuves et tenter de lutter contre le risque d’inondations.

Enfin Stéphane Frioux rajoute deux compléments :

- l’histoire de la pêche montre, comme dans le cas des forêts, le fantasme de la perte et de la disparition des espèces entretenu par les élites. Le discours sur la raréfaction de certaines espèces est très loin d’être récent.

- avant que l’on parle de "développement urbain durable", la pensée hygiéniste du XIXe siècle a entraîné toute une série d’actions sur la ville et la naissance d’un "génie sanitaire" qui développe des solutions au problème d’une ville "pathogène". De plus, dès le XIXe ou au début du XXe siècle dans d’autres pays, l’urbanisme voit le jour avec la réflexion sur la maîtrise de la croissance spatiale et de la nécessité de planifier l’extension urbaine.

Les géographes et le développement durable :

Pour présenter l’état des connaissances sur le développement durable en géographie, Julie Le Gall, Marie Liégeois, Yann Calbérac et Samuel Rufat ont procédé à une lecture critique de l’article « Développement durable : affaire de tous, approches de géographes » (Alain Miossec, Paul Arnould et Yvette Veyret) extrait du numéro spécial d’Historiens et géographes (n°387) consacré au développement durable. Ce texte est intéressant par sa dimension programmatique et par le public qu’il vise (les enseignants d’histoire et géographie du secondaire).

Différentes pistes de réflexion ont été mises en évidence :
- L’histoire du concept de développement durable est longue : ce concept tire son origine dans les préoccupations de penseur du XVIIIe siècle, comme Malthus, qui pose la question des relations entre population et ressources disponibles. Ces réflexions rejoignent les préoccupations environnementales et écologistes du XXe naissant. Portées durant la Guerre Froide par le mouvement associatif planétaire et les décideurs en tous genres, ces thématiques aboutissent au développement durable tel qu’il est défini à Rio de Janeiro en 1992, lors du Sommet de la Terre. La dimension incantatoire et magique du terme est soulignée.
- Ce texte pose la nécessité pour les géographes de s’engager dans les recherches sur ces thématiques. La notion est floue et il est nécessaire de dissiper l’écran de fumée qui l’occulte. Dans ce mouvement de déconstruction, les géographes ont un rôle à jouer. En effet, la géographie, par son objet, ses méthodes ou ses outils est légitime pour parler des relations qu’entretiennent les sociétés avec leur environnement ou de l’équilibre des ressources. Bien plus, le développement (et plus récemment le développement local) est une thématique qui a été travaillée par les géographes depuis les années 1960 et 1970 ; la géographie peut désormais prendre pour horizon de recherche l’articulation entre développement et développement durable.
- Etudier en géographe le « développement durable » conduit à le redéfinir en partie. En effet, ce concept paraît s’attacher davantage au temps qu’à l’espace ; l’attention portée aux générations futures (plus qu’à ses voisins plus ou moins proches) est emblématique. La différenciation des lieux, le jeu d’échelle sont ignorés au profit d’une vision globale. Faire du développement durable un objet géographique consiste à remettre le territoire (et plus largement l’espace) au cœur de toute réflexion.

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